Régularisation des Travailleurs Étrangers dans les Secteurs en Pénurie : Analyse Juridique de la Réforme 2024

Publié le 7 septembre 2024 à 09:01

 

 

Le 26 janvier 2024 a marqué une nouvelle ère pour la régularisation des travailleurs étrangers en situation irrégulière en France. Avec la promulgation de la loi n°2024-42, le législateur entend contrôler l'immigration tout en favorisant l’intégration des étrangers. Au cœur de cette réforme, un dispositif permet aux travailleurs exerçant dans des secteurs identifiés comme « métiers en tension » de régulariser leur situation sans nécessiter l’intervention de leur employeur. Cette innovation législative offre une issue pour les travailleurs exerçant dans des secteurs où la pénurie de main-d'œuvre est importante. Revenons en détail sur ce cadre juridique novateur et ses implications.

 

  • Le cadre juridique antérieur : un parcours complexe

Jusqu’à cette réforme, la régularisation des travailleurs étrangers passait par des procédures complexes. En règle générale, un employeur souhaitant embaucher un travailleur étranger (hors Union européenne, Espace économique européen et Suisse) devait opter pour l'une des trois voies suivantes : recruter un étranger en situation régulière déjà titulaire d’un titre de séjour avec autorisation de travail, procéder à une demande de changement de statut pour les travailleurs en situation régulière mais sans autorisation de travail, ou encore enclencher une procédure d’admission exceptionnelle au séjour pour les étrangers en situation irrégulière. Cette dernière voie, souvent perçue comme la plus ardue, a été significativement remaniée par la loi de 2024.

Désormais, les travailleurs étrangers en situation irrégulière occupant un emploi dans un secteur en tension peuvent déposer eux-mêmes une demande de régularisation. Cette procédure, codifiée à l’article L. 435-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), introduit une simplification majeure en supprimant l'obligation d’intervention de l’employeur dans la constitution du dossier.

 

  • Les conditions d'éligibilité à la régularisation

Pour bénéficier de cette régularisation, deux conditions principales doivent être remplies. D'une part, le travailleur doit justifier d'une expérience professionnelle d'au moins 12 mois, qu’elle soit continue ou non, au cours des 24 derniers mois, et résider en France depuis au moins trois ans. D'autre part, il doit prouver que l’emploi exercé appartient à un secteur identifié comme un « métier en tension ». 

Les préfectures, en charge de l'examen des demandes, sont tenues de vérifier la réalité de l'activité professionnelle invoquée par tout moyen à leur disposition. Si ces conditions sont satisfaites, le travailleur peut se voir attribuer un titre de séjour portant la mention « salarié » (en cas de contrat à durée indéterminée) ou « travailleur temporaire » (en cas de contrat à durée déterminée).

 

  • Les métiers en tension : vers une liste actualisée régulièrement

La définition des métiers en tension est cruciale pour cette régularisation. Un arrêté datant du 1er avril 2021 avait initialement établi une liste de ces métiers. Cependant, celle-ci ne reflétait pas toujours les besoins du marché du travail, notamment dans certains secteurs en sous-effectif, tels que l’hôtellerie-restauration, le bâtiment ou encore les services de nettoyage. Consciente de cette réalité, la réforme de janvier 2024 impose une actualisation annuelle de cette liste, après consultation des organisations syndicales des employeurs et des salariés.

Un arrêté du 1er mars 2024 a d’ailleurs élargi cette liste pour inclure les métiers du secteur agricole, tels que les postes de salariés agricoles, éleveurs, maraîchers, horticulteurs, viticulteurs et arboriculteurs. Ce renforcement de la liste vise à répondre aux besoins pressants de main-d'œuvre dans ces domaines souvent délaissés par la population active locale.

 

  • L’effacement ambigu du rôle de l’employeur

L'une des grandes nouveautés de cette réforme réside dans l’effacement du rôle de l’employeur au sein de la procédure. À première vue, cette disposition décharge les employeurs de l’obligation de constituer les dossiers de régularisation pour leurs salariés. Cependant, cette simplification apparente dissimule des complexités. 

En effet, la circulaire du 5 février 2024, émanant du ministère de l’Intérieur, précise que si les conditions liées aux métiers en tension ne sont pas remplies, l’employeur devra tout de même remplir un formulaire CERFA, rappelant ainsi son implication indirecte dans le processus. De plus, le dépôt d’une demande de régularisation peut exposer l’employeur à des sanctions en matière de travail illégal. En effet, la loi de janvier 2024 a durci les peines pour l'emploi d’étrangers sans autorisation de travail, doublant l’amende pénale pour les personnes morales, qui passe de 75 000 à 150 000 euros par travailleur concerné.

Les informations collectées dans le cadre de ces procédures peuvent également être transmises aux autorités chargées de la lutte contre le travail illégal, ce qui renforce la pression sur les employeurs. Ainsi, bien que leur rôle semble avoir été effacé, les risques pour eux demeurent importants.

 

  • Les critères d’éligibilité et les pouvoirs décisionnels des préfets

La circulaire du 5 février 2024 encadre strictement les critères d'éligibilité à l’admission exceptionnelle au séjour par le travail, tout en laissant une marge d'appréciation aux préfets pour évaluer les dossiers au cas par cas.

 

  • Expérience professionnelle et métiers en tension

L'un des critères principaux est la démonstration d'une expérience professionnelle salariée d’au moins 12 mois, qu’elle soit continue ou non, au cours des 24 derniers mois, dans un secteur considéré comme un métier en tension. La liste de ces métiers, fixée par arrêté, sera ajustée aux besoins des différentes zones géographiques, permettant ainsi une régulation fine de la demande en main-d'œuvre.

 

  • Durée de résidence

Le travailleur doit également justifier d’une résidence continue en France depuis au moins trois ans avant le dépôt de sa demande. Cette condition vise à garantir que le dispositif bénéficie principalement aux étrangers déjà intégrés dans la société française.

 

  • Intégration sociale et respect des valeurs républicaines

Les préfets devront également évaluer l’intégration du demandeur dans la société française. Cela inclut non seulement le respect de l'ordre public, mais également l'adhésion aux valeurs fondamentales de la République, telles que l'égalité des sexes, la laïcité, et le respect de la démocratie et de l'État de droit. Des aspects comme la parentalité, l’éducation des enfants ou l’implication dans la communauté pourront également être pris en compte.

 

  • Vérification du casier judiciaire

Une attention particulière sera portée à la sécurité publique. Ainsi, une vérification systématique du casier judiciaire des demandeurs sera effectuée. L’admission exceptionnelle ne pourra être accordée qu'en l'absence de condamnations graves, d'incapacités ou de déchéances inscrites au bulletin n°2 du casier judiciaire.

 

  • Délai d’instruction et délivrance du titre de séjour

Les préfets disposeront d’un délai de 90 jours pour instruire les demandes, à compter de leur dépôt complet par les travailleurs eux-mêmes, marquant une rupture nette avec l’ancienne procédure nécessitant l’intervention de l’employeur. Si les conditions sont remplies, une carte de séjour temporaire d’un an, portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié », sera délivrée.

 

  • Exclusion de certaines activités du dispositif

Certaines catégories d’activités sont néanmoins exclues du champ de cette procédure. Les travailleurs ayant exercé sous un titre de séjour « saisonnier » ou « étudiant », les demandeurs d’asile, ainsi que les auto-entrepreneurs ou travailleurs indépendants, ne pourront pas prétendre à cette régularisation par le travail.

 

La réforme de la régularisation des travailleurs étrangers dans les métiers en tension ouvre la voie à une meilleure intégration des personnes en situation irrégulière tout en répondant aux besoins du marché du travail français. Toutefois, ce dispositif, encore expérimental jusqu’au 31 décembre 2026, demeure complexe et expose les employeurs à des risques substantiels. La vigilance reste donc de mise pour toutes les parties concernées, dans un équilibre délicat entre inclusion sociale et respect des obligations légales.

 

Mr Watson GERMAIN

Juriste/Criminologue

Fort-de-France, le 07/09/2024

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Commentaires

Enna Chery
il y a un mois

Bonjour comment vas tu